En médecine traditionnelle chinoise (MTC), les femmes ont longtemps été éclipsées, mais certaines ont su imposer leur savoir et léguer un héritage inestimable. Nous rendons hommage à celles qui ont bravé les interdits, repoussé les limites et marqué l’histoire. Des premiers traités médicaux aux découvertes scientifiques modernes, ces quatre figures emblématiques ont révolutionné la MTC, chacune à sa manière. Plongeons dans leur histoire.
Yi Shuo – La première femme médecin de Chine
Yi Shuo est la première femme médecin mentionnée dans les archives historiques chinoises. Elle était une guérisseuse très respectée, connue pour son engagement à soigner les populations et son expertise médicale exceptionnelle, ce qui lui a valu une grande reconnaissance, aussi bien auprès du peuple que des élites.
Elle maîtrisait le traitement de nombreuses maladies, mais elle était particulièrement réputée pour ses compétences en gynécologie. Son talent a fini par attirer l’attention de l’empereur Han Wudi, qui l’a convoquée à la cour impériale. Yi Shuo a alors été nommée médecin attitrée des dames de la cour, et plus spécifiquement en charge des soins de l’Impératrice Dou. Son travail et son expertise lui ont permis de gagner la confiance de l’Impératrice, ce qui renforce son rôle dans l’histoire de la médecine traditionnelle chinoise.
Grâce à ses connaissances et à son statut unique en tant que femme médecin dans la Chine ancienne, Yi Shuo est une figure pionnière qui a ouvert la voie à d’autres femmes dans le domaine médical.
Un cas remarquable qui a fait connaître Yi Shuo
Un jour, une patiente gravement malade fut amenée de loin pour consulter Yi Shuo. Son abdomen était anormalement gonflé, plus volumineux encore que celui d'une femme sur le point d’accoucher. Son nombril était ressorti, son corps extrêmement maigre, et elle semblait à bout de forces, à peine capable de respirer.
Yi Shuo l'examina attentivement et, après un diagnostic précis, procéda à un traitement combinant acupuncture et médecine traditionnelle chinoise. Elle utilisa plusieurs aiguilles d'argent, qu'elle inséra avec précision sur l'abdomen et les jambes de la patiente. Ensuite, elle appliqua une poudre médicinale sur son nombril, qu’elle recouvrit d'un tissu imbibé d'eau chaude, puis administra une décoction d’herbes médicinales à la patiente.
Quelques jours plus tard, le gonflement commença à diminuer progressivement et, en moins de dix jours, la patiente retrouva suffisamment de force pour se remettre sur pied.
Grâce à ce traitement spectaculaire, Yi Shuo gagna une immense admiration. Très vite, son talent fut connu de tous et son nom se répandit dans toute la région. Elle devint une médecin renommée et respectée, à qui de nombreuses personnes faisaient confiance pour se faire soigner.
Bao Gu (IVe siècle) – La première femme médecin spécialisée en moxibustion
Bao Gu vivait au IVe siècle, une époque où les connaissances médicales se transmettaient majoritairement de maître à disciple, dans des cercles très fermés. Elle a grandi dans une famille de médecins et de taoïstes, où elle a été influencée par la pensée taoïste. Plus tard, elle s'est installée avec son mari dans les montagnes de Luofu, au Guangdong, où elle a pratiqué la médecine et la science.
Elle était une experte en moxibustion, une technique qui utilise la chaleur pour soigner. Elle s'est fait connaître pour ses traitements efficaces contre les tumeurs bénignes et les verrues. Bao Gu utilisait une variété locale d’armoise rouge, une plante aux propriétés médicinales, pour soigner ses patients. Grâce à son efficacité, cette plante a ensuite été appelée "Bao Gu Ai", en son honneur.
On disait de sa méthode : “Une seule application suffisait pour guérir les verrues. En plus de soigner, elle améliorait aussi l’apparence de la peau.”
Bao Gu est donc reconnue comme la première femme spécialiste de la moxibustion dans l’histoire de la Chine, laissant un héritage précieux dans la médecine traditionnelle chinoise.
Elle était experte en acupuncture et en phytothérapie et utilisait des techniques avancées pour soigner les blessures et maladies chroniques. Mais ce qui fait sa renommée, c’est son engagement humanitaire : plutôt que de se limiter aux élites, elle soignait les soldats blessés et les populations défavorisées.
Tan Yunxian (1461-1554) – La médecin dédiée aux femmes
Dans la Chine impériale, les femmes n’avaient pas accès à la médecine et, paradoxalement, elles ne pouvaient souvent pas consulter de médecins masculins. Tan Yunxian a changé cela en devenant l’une des rares médecins reconnues de la dynastie Ming.
Elle a consacré sa carrière aux maladies féminines, notamment la ménopause, l’infertilité, les déséquilibres hormonaux et les troubles menstruels. Contrairement à la médecine occidentale de l’époque, qui négligeait ces sujets, Tan Yunxian a mis en avant l’importance des déséquilibres du Qi (énergie vitale) et leur impact sur la santé des femmes.
Chuang Shu-chi (1920–2015) – La pionnière de la prévention du cancer
Née à Taipei en 1920, Chuang Shu-chi est reconnue comme la première femme praticienne de la MTC officiellement licenciée à Taïwan. Dès l'âge de 10 ans, elle commence à étudier la médecine en secret, aidant son père dans sa pharmacie familiale, la Kuanghotang Pharmacy.
En 1951, elle obtient sa licence, devenant ainsi la première femme officiellement reconnue en tant que praticienne de MTC à Taïwan. Elle rouvre la clinique de son père avec l'aide de ses frères et gagne le surnom de "Lady Doctor".
Par la suite, Chuang part au Japon pour approfondir ses connaissances. Elle étudie à l'Université Keio, où elle se spécialise dans la prévention du cancer. Elle y obtient un doctorat, devenant la première femme taïwanaise à recevoir ce titre de cette institution.
De retour à Taïwan en 1988, elle se consacre à la sensibilisation à la prévention du cancer, organisant des activités et promouvant des exercices spécifiques pour améliorer la santé. Elle est affectueusement surnommée la "marraine de la prévention du cancer" pour son dévouement.
Youyou Tu (1930 - ) – Une révolution médicale contemporaine
En 2015, Youyou Tu a marqué l’histoire en recevant le prix Nobel de médecine pour sa découverte de l’artémisinine, un traitement révolutionnaire contre le paludisme. Mais son parcours est unique : au lieu de suivre une voie strictement scientifique, elle s’est inspirée des anciens textes de MTC.
Dans les années 1970, la Chine cherchait un traitement efficace contre le paludisme. Youyou Tu a analysé des milliers de formules issues de la MTC et a redécouvert une recette mentionnant Artemisia annua, une plante utilisée depuis des siècles. Grâce à des recherches intensives, elle a réussi à isoler l’artémisinine, une molécule capable de stopper le paludisme rapidement et efficacement.
Aujourd’hui, son traitement est utilisé dans le monde entier et a sauvé des millions de vies.
Voir plus à propos de Youyou TuConclusion
À travers l’histoire, de nombreuses femmes ont marqué la médecine traditionnelle chinoise par leurs découvertes, leurs pratiques et leur engagement. Bien que longtemps restées dans l’ombre, elles ont joué un rôle essentiel dans le développement et l’enrichissement de la MTC. Leurs contributions ne se sont pas seulement limitées aux maladies courantes, elles ont surtout permis d’améliorer la prise en charge des maladies féminines, un domaine souvent négligé par la médecine de leur époque.
Grâce à leur expertise et à leur détermination, ces pionnières ont non seulement sauvé des vies, mais aussi perfectionné des méthodes qui sont encore utilisées aujourd’hui. De l’acupuncture à la moxibustion, en passant par les remèdes à base de plantes et les avancées scientifiques modernes, leur héritage continue d’influencer la médecine contemporaine.
Leurs parcours montrent que la santé des femmes a toujours eu des défenseuses engagées, et que la MTC n’aurait pas été aussi complète et efficace sans leurs contributions. Aujourd’hui, ces figures inspirantes rappellent l’importance de la transmission du savoir et du rôle des femmes dans le progrès médical, en Chine comme dans le reste du monde.